Les chimistes du centre de recherche ont mis au point, au laboratoire, la synthèse d'une nouvelle molécule, dans un erlenmeyer muni d'un agitateur magnétique.
On décide de produire cette molécule à l'échelle industrielle. Pour cela, on a l'idée d'utiliser un réacteur agité de taille industrielle, mais fonctionnant en continu, c'est-à-dire alimenté en permanence avec le mélange de réactifs, avec une évacuation continue des produits de la réaction.
Malheureusement, à l'intérieur de ce réacteur, certaines molécules de réactif vont avoir un temps de séjour très court, d'autres vont passer un temps un peu plus long à l'intérieur du réacteur avant de ressortir, quelques-unes vont avoir un temps de séjour extrêêêêêêêêêmement long. En réalité dans un réacteur parfaitement agité, on observe une infinité de temps de séjour possibles. Pour illustrer cela, on peut faire un histogramme qui montre, en abscisse les différents temps de séjour possibles dans le réacteur bien mélangé, et en ordonnée leur probabilité c'est-à-dire (en quelque sorte) le nombre de molécules qui auront ce temps de séjour dans ce réacteur. On peut montrer qu'il y aura de nombreuses molécules avec un temps de séjour faible, et peu avec un temps de séjour très long, mais que toutes les valeurs seront représentées ; la courbe ainsi construite a une forme d'exponentielle décroissante.
Revenons à notre réacteur agité industriel : le second problème est qu'à l'intérieur, la concentration en réactif est partout identique (puisqu'il est parfaitement agité) et faible, puisqu'elle correspond (naturellement) à la concentration de sortie. Or la vitesse de réaction est généralement proportionnelle à la concentration en réactif. Donc dans un réacteur agité, la vitesse de réaction est faible partout, ce qui implique pour ce réacteur une faible production de la molécule recherchée.
On peut alors avoir l'idée de construire un réacteur sans agitateur, pour permettre l'existence de zones de concentrations différentes. Certes, près de la sortie du réacteur, la concentration en réactif reste faible ; mais plus on va s'approcher de l'entrée du réacteur, plus la concentration en réactif sera grande, et par conséquent la vitesse de réaction sera grande également. Si de plus notre réacteur est allongé, les molécules réactives y séjourneront longtemps et auront le temps de se transformer en la molécule désirée. On a ainsi inventé le réacteur tubulaire ! On a coutume d'appeler le réacteur idéal correspondant « réacteur piston ».
EXPLICATION
Dans un réacteur tubulaire, les molécules avancent toutes à peu près à la même vitesse : c'est l'image du piston qui avance à l'intérieur du réacteur avec une vitesse constante. Les molécules qui se trouvent dans une petite tranche de ce réacteur ne se mélangent quasiment pas avec celles qui se trouvent juste après ou celles qui sont juste avant. Ce type de comportement n'existe pas vraiment dans la réalité, mais on peut s'en approcher. Le réacteur « piston » est un réacteur idéal, qui guide la conception des réacteurs tubulaires industriels.
Si on imagine injecter un traceur à l'entrée du réacteur sous la forme d'une impulsion (c'est-à-dire une quantité de traceur injectée de manière instantanée) et si on place à la sortie du réacteur un détecteur de ce traceur, on va pouvoir observer la concentration en traceur à la sortie du réacteur en ordonnée en fonction du temps en abscisse. Si notre réacteur est parfaitement piston, le signal que l'on va observer à la sortie aura cette forme : on va retrouver l'impulsion d'entrée correspondant à l'injection de traceur, simplement décalée dans le temps : toutes les molécules ont le même temps de séjour, c'est le temps mesuré entre l'injection du traceur et le pic observé à la sortie ; mais intuitivement, on comprend que ce temps est aussi le rapport entre le volume du réacteur et le débit volumique qui le traverse, c'est-à-dire le temps de passage.
Alors que dans un réacteur parfaitement agité, la courbe de distribution des temps de séjour est une exponentielle décroissante : beaucoup de traceur sort du réacteur à des temps courts, puis de moins en moins de traceur sort : c'est l'infinité de temps de séjour évoquée au début. Le fort mélange dans le réacteur agité est néfaste à la production de la molécule souhaitée : il vaut mieux utiliser un réacteur présentant un écoulement macroscopiquement peu mélangé, comme celui du réacteur piston.
Parfois les contraintes techniques industrielles ne permettent pas l'usage d'un réacteur piston ; on peut s'en approcher en utilisant plusieurs réacteurs agités successifs : on parle alors de cascade de réacteurs agités.
EN REALITE, dans un réacteur tubulaire, on observe un écart par rapport à l'écoulement piston idéal, qui se traduit par une dispersion axiale. Ainsi lorsque l'on injecte une impulsion de traceur en entrée du réacteur, ce traceur va avoir tendance à se disperser. On le voit sur ce film : le traceur de couleur rose s'étend sur une petite zone dans le réacteur tubulaire garni et plus le traceur progresse dans le réacteur, plus cette zone de dispersion s'étend. Lorsque le traceur arrive à proximité de la sortie, on peut suivre sa concentration (ici à l'aide d'un conductimètre) : on voit que la concentration en traceur va d'abord croitre rapidement, mais pas instantanément comme ce serait le cas dans un réacteur idéal ; puis sa concentration va décroitre plus ou moins lentement, selon que la dispersion axiale dans le réacteur étudié est plus ou moins prononcée. La décroissance n'est pas du tout instantanée comme elle le serait avec un réacteur piston idéal ; elle est en revanche plus rapide qu'avec un réacteur parfaitement agité. Le modèle de réacteur piston dispersif permettra de représenter le fonctionnement de ce type de réacteur tubulaire réel.
Pour d'autres types de réacteurs industriels, un modèle associant des réacteurs pistons et parfaitement agités pourra être utilisé pour représenter l'hydrodynamique du réacteur réel.
Les associations de réacteurs tubulaires et de réacteurs agités offrent par ailleurs beaucoup de possibilités intéressantes à explorer pour la production industrielle.